Nous vous proposons ici des ressources autour de l’exposition « L’internement des Nomades, une histoire française (1940-1946) » pour vous permettre d’approfondir vos connaissances ou vos recherches sur le sujet.

Terminologie : Bohémiens, Tsiganes, Nomades et Zigeuner

La loi du 16 juillet 1912 constitue un acte décisif dans la mise en place d’un système policier d’identification préventive et de surveillance des circulations des populations itinérantes. La catégorie « Nomade » permet à l’administration de cibler tous ceux que l’opinion nomme péjorativement Bohémiens, Tsiganes, Gitans, Caraques, Romani et Romanichels. La visée ethnique de la répression exercée s’efface au profit d’un terme généraliste mais la dimension raciale de la loi demeure.

Tsigane est aujourd’hui le mot privilégié par la recherche en sciences sociales pour désigner les trois branches des mondes romani présentes en France : Roms ou Roma d’Europe centrale et balkanique ; Sinti ou Manouches du bassin germanique et d’Italie; et Kalé ou Gitans de la péninsule ibérique. Les Yéniches, itinérants du bassin suisse-alémanique, mais aussi les voyageurs gadjé ou étrangers sont également associés aux mondes romani. Pour autant, aucun terme ne permet d’unifier parfaitement des populations qui constituent une mosaïque de groupes aux traits sociaux, familiaux, économiques, culturels et linguistiques distincts. Le terme Zigeuner renvoie à la politique raciale allemande du début du XXe siècle et son usage est désormais rejeté en Allemagne où l’on emploie les termes Sinti et Roma.

En France, le vocable Tsigane est de plus en plus remis en question par les membres des différentes communautés. Dans cette exposition, le terme nomade est employé car c’est ainsi qu’étaient désignées ces personnes par les autorités françaises depuis 1912. Cette population hétérogène, estimée à près de 40 000 personnes par les autorités en 1940, est assignée à résidence par un décret-loi signé du président de la République, Albert Lebrun, le 6 avril 1940. Les Nomades, mais aussi les forains, les circassiens et les familles itinérantes sont menacés par l’application de ce décret. Le 4 octobre 1940, l’état-major allemand exige l’internement des Zigeuner de la zone occupée dans des camps familiaux surveillés et gérés par les autorités françaises. Le régime de Vichy traduit cette demande en internant les Nomades tels qu’ils sont définis par la loi de 1912.

Les camps d'internement des Nomades en France

Mérignac Beaudésert (Gironde), octobre – décembre 1940

Après la débâcle militaire de mai 1940, Bordeaux devient le siège du gouvernement pour la troisième fois en 70 ans. L’armistice est signé le 22 juin et divise la France en différents territoires. En août, les Allemands refoulent vers l’intérieur des terres les Nomades et les indésirables de la côte atlantique pour des raisons sécuritaires. En décembre, 319 Nomades sont arrêtés par les brigades de gendarmerie sur tout le département de la Gironde et internés au camp de Mérignac, pour certains avec leurs voitures. Le commandant du camp tient scrupuleusement les minutes de cette période jusqu’à la vente aux enchères à des particuliers des moyens de transport des Nomades. En novembre 1940, ils sont transférés en deux groupes : l’un vers le camp de La Morellerie (Indre-et-Loire), le second, par Civray, au camp de la Route de Limoges, à Poitiers (Vienne).

Linas-Montlhéry (Essonne), novembre 1940 – avril 1942

Ouvert un mois après l’ordonnance allemande du 4 octobre 1940, le camp de Linas-Montlhéry est situé sur un autodrome désaffecté et isolé. Il regroupe 190 Nomades et forains français, belges, mais aussi norvégiens arrêtés dans la région normande par la gendarmerie française et transférés par convoi depuis Rouen vers le sud de Paris. Érigé en urgence, ce camp offre des conditions de vie très difficiles et les familles luttent auprès de l’administration pour obtenir une libération. Le ravitaillement du camp est défaillant en raison de la corruption du personnel. Pour les Allemands, ce camp pose problème car il mobilise une force de police importante à proximité de la capitale. En décembre 1940, l’autorité militaire allemande propose même la déportation des familles internées vers la Pologne. Finalement, le camp de Linas-Montlhéry s’installe dans la durée et ferme en avril 1942. Les internés sont alors transférés vers Mulsanne (Sarthe) puis vers Montreuil-Bellay (Maine-et-Loire).

Poitiers (Vienne), décembre 1940 – décembre 1943

Le camp de la Route de Limoges, à Poitiers, a d’abord été créé pour accueillir les réfugiés espagnols de la Retirada en 1939. Suite à l’ordre allemand du 4 octobre 1940, un grand nombre de Nomades français et étrangers y sont internés. Au printemps 1941, les Français reçoivent l’ordre de recenser les Juifs étrangers vivant dans le Poitou. 151 adultes et 158 enfants sont alors internés dans le camp. Au 1er décembre 1941, il compte 801 internés : 27 Espagnols, 452 Nomades et 322 Juifs rassemblés dans une quinzaine de baraques. Malgré les clôtures, les familles juives et nomades élaborent des liens de solidarité et s’entraident. Le père Fleury, aumônier du camp, apporte un soutien aux familles internées, tant nomades que juives, et parvient à faire libérer des enfants juifs, qui échappent à la déportation. Les derniers internés nomades sont transférés vers Montreuil-Bellay à la fin de l’année 1943.

Montreuil-Bellay (Maine-et-Loire), novembre 1941 – janvier 1945

Le camp de Montreuil-Bellay est un maillage essentiel du réseau d’internement des Nomades en France. Il concentre les familles nomades auparavant internées dans les premiers camps de la zone occupée, créés à la fin de l’année 1940. Le camp ouvre en novembre 1941. Quatorze baraques sont prévues pour abriter vingt personnes chacune. Au total, plus de 1 800 Nomades sont internés dans cette ancienne poudrerie, située près de Saumur, entre 1941 et 1945, et surveillés par des gendarmes français. Des sœurs de la congrégation des franciscaines missionnaires de Marie ont volontairement partagé le quotidien des internés et assuré l’instruction religieuse des enfants. En 1943, des libérations sont accordées, notamment à des familles belges. Le camp ferme en janvier 1945, les internés restant sont transférés à Jargeau (Loiret) et au camp des Alliers (Charente).

Jargeau (Loiret), mars 1941 – décembre 1945

Le 26 octobre 1940, l’administration militaire allemande d’Orléans ordonne aux autorités françaises de procéder à l’arrestation de tous les Nomades du département du Loiret et d’organiser leur internement. Le camp de Jargeau ouvre en mars 1941 et regroupe au total plus de 1 700 personnes, en grande majorité des familles nomades. À partir d’octobre 1941, des prostituées, des réfractaires au Service du travail obligatoire (STO) et des étrangers sont aussi internés à Jargeau. Les baraques sont surpeuplées et la mortalité infantile est très forte. Certains Nomades acceptent de partir travailler dans les usines allemandes en échange de la libération de leur famille. Le camp ferme en décembre 1945 et constitue l’un des deux principaux camps de la zone occupée avec Montreuil-Bellay (Maine-et-Loire).

Saliers (Bouches-du-Rhône), juin 1942 – octobre 1944

Suite à la crise humanitaire dans les camps français en 1939-1940 et aux regards critiques de l’étranger, le gouvernement de Vichy décide de réorganiser la gestion des camps d’internement. En 1941, un projet de camp pour isoler les Nomades de la zone libre est envisagé. Le choix du lieu se porte sur la commune d’Arles, en Camargue, prétendu « berceau de la race gitane », en raison de la proximité avec le village des Saintes-Maries-de-la-Mer où se déroule chaque année un important pèlerinage. Le sous-préfet d’Arles, Jean des Vallières, fait appel à un architecte des monuments historiques pour construire un village typique camarguais. Construit ex nihilo, le camp de Saliers doit répondre à quatre objectifs : séparer la « race nomade » des autres internés, servir la propagande de Vichy, créer de la richesse par le travail des internés et les sédentariser à terme. Des Nomades sont envoyés de force du Barcarès et de Rivesaltes pour construire les structures du camp. La vie quotidienne est éprouvante pour les 668 internés passés par ce camp : le surpeuplement des baraques, le travail forcé, le ravitaillement défaillant, les enfants arrachés aux familles et placés et les femmes harcelées par les gardiens. On y dénombre 25 décès. Le camp, bombardé par l’aviation alliée en août 1944, est fermé le 15 octobre 1944.

Photographie prise au camp de Montreuil-Bellay, le 3 septembre 1943, par Denise Doly (membre de l’ordre des franciscaines missionnaires de Marie). Maine-et-Loire. © Coll. Soeurs franciscaines missionnaires de Marie/Jacques Sigot.

Nomades au camp de la Route de Limoges, Poitiers. Litographie d’après un dessin de Sonia Steinsapir, 1943. Camp de Mérignac Beau-désert, s.d. / Sonia Steinsapir. © RMN-Grand Palais (MuCEM) / Gérard Blot.

L’oubli des camps dans les communes et les manuels scolaires

 

 

Sur les trente communes d’implantation des camps où 6 700 personnes furent internées en tant que Nomades, quinze stèles, apposées à des dates tardives, entre 1985 et 2018, et dont les textes s’avèrent parfois en partie critiquables, rendent hommage aux Tsiganes persécutés. C’est dire que l’oubli des persécutions infligées aux Nomades pendant la Seconde Guerre mondiale a prévalu durablement au sein de la société française. Ainsi, la commune de Mérignac n’a pas échappé à ce déni puisque la stèle inaugurée le 24 décembre 1985 sur l’emplacement de l’ancien camp de Beau-désert (321 Nomades par familles entières y furent internés le 17 novembre 1940) ne mentionnait pas les Tsiganes. Le mot « Tsiganes », coupé maladroitement (Tsiga-nes), n’a été ajouté sur la plaque qu’en juin 2005, sans que la date de 1941 ait été modifiée. Une nouvelle plaque, érigée en avril 2016, a corrigé la date et révisé le texte.

Remarquons par ailleurs que les manuels scolaires les plus diffusés de nos jours au sein des classes de Première et de Terminale (éditions Hachette Éducation, Hatier, Mignard, Bordas, etc.), comme ceux parus après la fin de la guerre, ne disent rien au sujet de l’internement des Nomades en France. À l’exception du manuel d’histoire de Terminale L, publié chez Nathan en 2012.

Emmanuel Filhol, comité scientifique de l’exposition

Regard d'un écrivain

L’écrivain Pierre Guyotat, né en 1940, se souvient d’une rencontre avec des bohémiens. L’épisode qu’il relate, extrait de Formation (2007), journal sur son enfance et son adolescence, se déroule près d’une ville de la Loire, en 1947, après la sortie des camps :

« Dans le fond du faubourg d’Almandet, vers Annonay, vers l’Ardèche, entre la nationale et la rivière Déôme, jouxtant le terrain de football, un emplacement est réservé aux roulottes des romanichels, sous un panneau « Interdit aux Nomades ». Leur présence à cette entrée sud du gros bourg attire les enfants, mais les parents la redoutent.

Ils sont beaux, grands, ils ont une peau éclatante, des gestes nonchalants et sûrs, les enfants portent des haillons, trop grands pour eux, aux tissus et aux couleurs inconnus ici : leurs cheveux, leurs yeux, leurs sourcils, leurs cils, leurs lèvres, les bijoux à leurs oreilles, leurs ongles, leurs voix, leur langue ; ils lavent linges et marmites dans la rivière, font sécher leur lessive sur les ronces dont en saison ils mangent les fruits ; assis sur les marches de leurs roulottes, autour des feux, ils tressent des paniers, des corbeilles et des chapeaux. En fin de matinée, puis en fin d’après-midi, femmes et hommes montent vers le centre du bourg, pour y vendre leur travail, ou, pour les femmes, trouver quelques mains à y déchiffrer, à lire ; certains ont des instruments : violons, guitares, tambourins, flûtes. […]. Quelques-uns ont un singe sur l’épaule, quelques fillettes et quelques garçonnets jonglent ou font des cabrioles. Des enfants du village, puis des adultes s’attroupent. Comme on dit qu’ils volent les poules, j’imagine alors que leurs roulottes en sont pleines, et qu’ils les endorment avec de la poudre ou des formules, et que, une fois quitté notre bourg, ils descendent au rythme des roues de bois et des chevaux, les vendre au bord du Rhône.

Mais comment peuvent-ils voler autant, enfants, bébés, et s’enfuir avec des véhicules aussi lents ? C’est à ce moment et par eux, les bohémiens, qu’à la suite de ce que je sais de la résistance de l’esprit dans les camps de la mort, je comprends la force de la liberté : il y a donc une limite à l’exercice de la loi, c’est la force de la parole et du regard humains. Il y a donc des gens sur cette terre qui en imposent aux représentants de la loi. […].

Ces gens, qui sortent, pour la plupart, des camps, que tout condamne et affaiblit, leurs coutumes, les pratiques qu’on leur prête, la précarité de leur existence, leur domicile roulant, leur langue inconnue, leurs métiers de musique et de paille, en imposent. On peut résister à la loi par sa seule existence, par la seule affirmation de sa présence sur un lieu, même mobile. Ce peuple qui ne connaît pas vraiment son origine, ces enfants qui paraissent n’appartenir à personne et leur liberté de gestes et d’action vis-à-vis de leurs adultes, comment ne pas en avoir le cœur qui bat de plus en plus fort à mesure que sorti du jardin de ma grand-mère, et de ses goûters frugaux mais très ordonnés, je marche et m’approche dans le chemin qui mène à l’emplacement du campement ? Que des mains se tendent au bout pour me prendre, et me voici revenir, l’année prochaine, dans leur troupe et méconnaissable, faire des cabrioles, jouer du violon et danser, et ayant déjà, moi, des enfants, devant les miens qui ne me reconnaissent plus. »

 

Pierre Guyotat

Lettres écrites par les internés du camp de Linas-Montlhéry

Lettre collective adressée à la Kommandantur de Versailles signée par « les femmes » internées à Linas-Montlhéry, 300 W 81 / AD Yvelines.

 

Lettre collective adressée au préfet de la Seine-et-Oise signée par les « Nomades du camp de Montlhéry », 22 novembre 1941, 300 W 81 / AD Yvelines.

Déclaration de M. François Hollande, Président de la République, en hommage aux Nomades internés pendant la Seconde Guerre mondiale, à Montreuil-Bellay le 29 octobre 2016.

« Aujourd’hui à Montreuil-Bellay, la France se souvient d’un drame, d’un drame terrible qui a été ignoré, oublié, refoulé pendant trop longtemps et qu’il était nécessaire d’évoquer pour réparer une injustice. Tel est le sens de ma présence aujourd’hui.

Le drame, c’est celui qu’ont vécu des milliers de femmes, hommes et enfants qui ont été internés de force en France entre 1940 et 1946, parce qu’ils vivaient différemment et qu’ils étaient des Nomades, des Tsiganes, des gens du voyage, des Français.

Ici à Montreuil-Bellay se tenait, sur cet endroit même où nous sommes, le plus grand camp d’internement de Nomades de France. Et c’est en 1946, soit un an après la fin de la guerre, que le dernier camp d’internement de Nomades, le camp des Alliers à Angoulême, a fermé. Les dernières familles internées à Montreuil-Bellay y avaient été transférées.

Les victimes n’ont jamais oublié cette blessure. Pendant 70 ans, elles ont porté cette souffrance en silence. Aujourd’hui est venu le temps d’écouter leur récit, ce fut fait, d’entendre cet appel qui est le vôtre et de répondre à votre cri pour que l’histoire soit connue, reconnue, réparée.

Cette histoire commence à la fin de la 3e République dans ce qu’on a appelé « la drôle de guerre ». Le 6 avril 1940, un décret assigne à résidence tous les Nomades. Officiellement, cette décision est justifiée par les exigences de la guerre, comme si ces familles, dont souvent les hommes ont été mobilisés dans l’armée française, pouvaient représenter une quelconque menace pour la défense nationale.

En réalité, ce texte ne faisait que transcrire dans la loi une méfiance venant du fond des âges, un fantasme nourri de peurs ancestrales, une somme de préjugés, d’ignorance. Et cette peur a suffi pour que les roulottes soient arrêtées, les caravanes consignées et les familles assignées à résidence près des gendarmeries.

Ensuite, il y eut les dispositions du gouvernement de Vichy. Dès l’été 1940 en zone sud, les Nomades expulsés d’Alsace et de Moselle sont internés, notamment à Rivesaltes, Barcarès, au camp de Saliers. En zone occupée, l’occupant nazi exige le rassemblement des Tsiganes dans des camps. Celui de Montreuil-Bellay est ouvert le 8 novembre 1941. Auparavant, il avait vu passer des républicains espagnols, puis les prisonniers anglais et canadiens.

Il y eut une trentaine de camps comme celui de Montreuil-Bellay. Dans la plupart des cas, rien ne subsiste de leur existence, même si nous en connaissons les noms, les noms des personnes qui y ont été internées, les noms de ces villes et de ces villages : Moisdon-la-Rivière, Linas-Montlhéry, Jargeau, Les Alliers. Tous ces noms qui évoquent beaucoup de souvenirs à beaucoup d’entre vous. Des noms de douleur pour celles et ceux qui y ont été internés.

6 500 personnes, à 90% de nationalité française, dont près de la moitié étaient des enfants, ont vécu là pendant des mois, parfois pendant des années, dans des conditions épouvantables, comme ici à Montreuil-Bellay, privés de nourriture chichement consentie, avec le froid l’hiver, la chaleur étouffante l’été, et une mortalité élevée.

Les internés étaient isolés, reclus, plongés dans l’oubli, l’indifférence, à l’exception de quelques Justes qui leur ont apporté leur aide, souvent des religieux qui venaient visiter ces camps comme le père Fleury à Poitiers –son nom a été rappelé tout à l’heure – ou l’abbé Jollec ou les sœurs franciscaines qui intervenaient ici, à Montreuil-Bellay.

J’ai également une pensée pour tous ces habitants de Montreuil-Bellay, comme d’autres villages, comme d’autres populations concernées par les camps, qui ont fait aussi leur travail de solidarité. Car s’il y avait de la cruauté chez certains, il y avait de l’humanité chez d’autres. Et c’est ce que nous devons toujours avoir à l’esprit face aux épreuves qui peuvent à un moment être rencontrées par notre pays dans l’adversité.

Ne pas céder, ne pas s’adonner aux pires sentiments, ne pas se réfugier dans la peur, ne pas stigmatiser mais au contraire être capable d’apporter cette solidarité qui est si nécessaire, cette fraternité qui est si essentielle, cette unité nationale qui fait notre force. Voilà pourquoi il était important de revenir ici, de ne pas oublier non plus que dans d’autres régions pendant la même époque, celle de l’Occupation, des gens du voyage ont été arrêtés par les nazis, déportés à Auschwitz et qu’ils ont trouvé la mort parce qu’ils étaient des Tsiganes. Il y a un chiffre terrible qui là aussi doit être rappelé, 500 000 Tsiganes sont morts dans les camps d’extermination pendant la Seconde Guerre mondiale.

Après la Libération, et c’est ce qu’il y a de plus difficile à comprendre encore aujourd’hui, les camps d’internement de Nomades ont continué d’exister en France. Des familles ont été retenues à côté des prisonniers allemands, à côté des collaborateurs, à côté de femmes qui avaient été jugées sommairement pour avoir à un moment eu des relations avec l’ennemi. Voilà ! On avait mis ensemble ce que l’on pensait devoir reléguer une fois encore. Mais pourquoi avoir gardé les nomades et les gens du voyage ?

La République n’a définitivement tourné cette page qu’après avoir abrogé le décret du 6 avril 1940, le texte dont je parlais qui avait permis d’interner. Ce n’est arrivé qu’en mai 1946, et le dernier camp a été fermé à l’automne 1946. Voilà pourquoi nous sommes ici rassemblés pour ce 70e anniversaire.

Montreuil-Bellay a compté jusqu’à 1 000 internés à un moment, hommes, femmes et enfants. Pratiquement toutes les familles – et ici il y en a beaucoup – de gens du voyage ont eu au moins un membre qui est passé par ce lieu. C’est aussi l’un des rares camps dont il subsiste des vestiges, peu nombreux : l’escalier qui mène au cachot à demi enterré, le lieu où nous sommes qui était supposé être la cantine ; et puis là où se trouvent quelques pierres qui rappellent encore qu’il y avait des baraquements.

Il nous faudra continuer en liaison avec la mairie de Montreuil-Bellay à aménager ce site, pour que rien ne puisse être oublié. Je remercie la mairie de Montreuil-Bellay comme les collectivités locales qui se sont engagées dans ce travail.

Il y a eu aussi la volonté de créer un mémorial et sur cette œuvre de culture, j’en félicite l’auteur, 473 noms ont été gravés pour rappeler que l’internement fut une souffrance et l’oubli une injustice de plus. Ce monument, cette œuvre, ce mémorial permettra de transmettre de génération en génération le souvenir de ce qui s’est passé ici.

Je veux rendre hommage à toutes les voix qui ont pu faire redécouvrir cette histoire. J’ai une pensée pour Jacques Sigot, vous l’avez cité, il est là aujourd’hui. Sans lui, il est probable que cette cérémonie n’aurait pu avoir lieu. Il était arrivé à Montreuil-Bellay comme instituteur, il avait entendu parler de ce camp comme beaucoup de ceux qui y vivaient et il a fait un travail d’historien, de grand historien, il est allé à la rencontre de témoins, parfois jusqu’en Amérique. Il a écrit des livres qui sont devenus des références et il n’a cessé de se battre pour que cette tragédie puisse être connue et reconnue au plus haut niveau.

Eh bien, voilà ! Nous y sommes, ce jour est venu et il fallait que cette vérité fût dite au plus haut niveau de l’État : la République reconnaît la souffrance des Nomades qui ont été internés et admet que sa responsabilité est grande dans ce drame.

Mais je veux aller plus loin encore aujourd’hui, il a été rappelé que depuis 1912 en France, les gens du voyage –qu’ils soient des citoyens français ou des étrangers –sont fichés, surveillés, astreints à posséder ce qu’on appelle –vous savez vous de quoi il retourne –un carnet anthropométrique, comme s’ils étaient obligés de signaler tous leurs mouvements, comme des suspects.

La loi du 3 janvier 1969 a pérennisé le principe en remplaçant ce carnet anthropométrique par le livret de circulation qui existe encore aujourd’hui. Sans doute – et reconnaissons-le – il y a eu des avancées au cours de ces dernières années, je pense notamment aux lois Besson de 1990 et de 2000, qui ont permis la création d’aires d’accueil. C’est la raison pour laquelle l’Association des gens du voyage a depuis longtemps demandé la suppression du livret de circulation.

Le Conseil constitutionnel a fini par déclarer ce livret contraire à la Constitution. Et il a également remis en cause cette obligation qui vous était faite de résider depuis plus de 3 ans dans une commune pour pouvoir s’inscrire sur les listes électorales, alors que cette obligation n’est que de 6 mois pour le reste de la population.

Dans cet esprit, le président de la Commission nationale consultative des gens du voyage, Dominique Raimbourg, a proposé l’abrogation de la loi de 1969, dans le cadre du projet de loi égalité et citoyenneté. Il en sera, je l’espère, décidé par le Parlement pour que les gens du voyage n’aient plus ce livret de circulation à produire, pour qu’ils soient des citoyens comme les autres.

Des Françaises et des Français à part entière, qui ont décidé de vivre en voyageant, mais qui ont décidé de vivre aussi attachés à des territoires et d’abord à leur pays. Car vous aimez la France, vous l’aimez, la France, comme elle doit vous aimer, comme tous ses enfants, sans distinction.

Je sais que nous avons encore des efforts à faire ensemble pour aller jusqu’au bout de l’obligation d’accueil dans l’ensemble des communes ; et je sais aussi que les établissements de coopération intercommunale font des efforts pour développer les aires de grand passage, mais elles restent insuffisantes. Je sais aussi que vous prenez vos responsabilités, parce que c’est l’intérêt de tous pour éviter les incidents, les installations sauvages et pour que nous puissions vivre ensemble et en harmonie.

Je salue l’action des associations de gens du voyage qui continuent de se battre contre les préjugés, qui apaisent les tensions, qui œuvrent avec confiance avec les élus, notamment pour favoriser les échanges.

Voilà, Mesdames et Messieurs, ce que j’étais venu vous dire ici, à Montreuil-Bellay.

Un pays, le nôtre, est toujours plus grand lorsqu’il reconnaît son histoire. Un pays est toujours plus fort lorsqu’il fait une place égale à tous les citoyens. Un pays est toujours plus fier quand il reconnaît par un message de dignité et de responsabilité ce qui a pu se passer à un moment de son passé. Et aujourd’hui encore, c’est ce message que je veux délivrer, il faut que nous soyons conscients qu’il y a encore, toujours, des combats à mener et que nous devons toujours être attentifs à toutes les menaces qui pèsent sur la cohésion nationale.

Il y a toujours des populations qui peuvent être humiliées, stigmatisées, exclues, et c’est pourquoi nous devons être ensemble, non pas pour simplement faire bloc mais pour défendre ensemble des valeurs.

S’il y a un message que nous devons garder de cette journée, c’est bien sûr la reconnaissance d’une mémoire qui a été blessée, ignorée, refoulée qui rejoint aujourd’hui la mémoire nationale. C’est le souvenir de celles et ceux qui ont été retenus dans tous ces camps et qui, aujourd’hui, par les descendants qui sont ici, retrouvent réparation et fierté.

Mais ce que nous devons surtout transmettre à tous ceux qui nous suivront, c’est d’être toujours vigilant, d’être toujours prêt à mener le combat pour la liberté, à toujours défendre la dignité humaine et la liberté. C’est le sens de cette cérémonie de Montreuil-Bellay, c’est le souvenir mais c’est aussi l’avenir. Parce que nous ne pouvons pas détacher l’un et l’autre, c’est le souvenir de ce qui s’est produit qui justifie que nous soyons capables pour l’avenir d’être dignes d’être Français, tous Français.

Vive la République et vive la France. »